Le mémoire des racines
10.05.23

« Aux côtés de la botanique, d’autres pratiques et disciplines ont permis de reconnaître à quel point les arbres, et plus généralement les végétaux, définissent une manière particulière de faire monde et de faire communauté.» (Emanuele Coccia, Nous les Arbres, Fondation Cartier, 2021, p. 21)

La pomme de terre est non seulement une nourriture, une plante, mais aussi une tradition qui est transmise de génération en génération, de main en main, en termes de droit de propriété. Les familles cultivent, récoltent et partagent les tubercules de pommes de terre au fil des ans, perpétuant ainsi la tradition et l'attachement à cette plante.
Je décide donc de travailler sur le sujet « le champ de pommes de terre de mon grand-père ». Mon grand-père lui aussi, a pratiqué cette tradition agricole. Les mémoires familiales liées à la culture de la pomme de terre se transmettent de génération en génération, créant un lien intime entre les individus et cette plante. La pomme de terre possède ainsi la mémoire familiale, conservant les caractéristiques de ses ancêtres génétiques et les expériences de ses multiples voyages à travers les continents.


Métamorphose de la pomme de terre

L'histoire de la pomme de terre est liée à l'histoire de l'agriculture, aux découvertes géographiques, à la colonisation et aux mouvements mondiaux des peuples. Dans son histoire, la pomme de terre a parcouru un long chemin depuis son origine en Amérique du Sud jusqu'à sa diffusion dans le monde entier. Elle est devenue l'un des aliments clés pendant la révolution industrielle et a joué un rôle essentiel dans la lutte contre la faim. 

Elle est originaire du Chili, du Pérou et de Bolivie il y a plus de 10 000 ans. En 1534, lors de la colonisation espagnole de l’Amérique du Sud, la pomme de terre a été importée en Espagne. Ensuite, elle est envoyée en Autriche. Puis, elle passe en Suisse et d’une façon marginale dans l’est de la France. Elle est cultivée en Angleterre. Ainsi, en passant par la Hollande, la pomme de terre arrive en Russie. Elle est amenée par le tsar Pierre le Grand en 1765. Selon mon grand-père, mon arrière-arrière-grand-père a apporté des pommes de terre d'Allemagne après la Première Guerre Mondiale en 1918. 

François Frézier, botaniste et explorateur français du XVIII siecle a donné le nom de « pomme de terre ». Il a dit qu’elles sont « grosses comme des œufs de poules et belles comme des noix ». Il raconte que « les feuilles sont plus arrondies, plus charnues et fort velues » et que les fruits sont «  d’un rouge blanchâtre et un peu moins délicats au goût que nos fraises des bois. » (Katia Astafieff, L'aventure extraordinaire des plantes voyageuses, Dunod, 2023, p. 39)

Son adoption en Russie a été facilitée par sa capacité à pousser dans des climats plus froids et sa valeur nutritive élevée. Au fil du temps, la culture de pommes de terre s'est répandue dans tout le pays, devenant une culture agricole essentielle pour de nombreuses communautés. En revanche, les pommes de terre ne poussent pas au Groenland, dans certains pays d'Afrique et en Indonésie.Ces dernières années, la Chine est le plus grand producteur de pommes de terre du monde avec une production annuelle de 99 122 420 tonnes. (La statistique tirées du site : https://www.atlasbig.com/)

Maintenant, les pommes de terre sauvages poussent dans des environnements très variés, situés entre les chaînes de montagnes du Sud-ouest des États-Unis et du Sud du Chili et de l'Argentine, en passant par le Mexique et l'Amérique Centrale. Sa colonisation réussie dans des environnements très différents a déterminé l'existence d'un large éventail de formes que les espèces sauvages peuvent acquérir.


Les pommes de terre comme source de vie

Les pommes de terre ont une grande variété, chacune s'adaptant à certaines conditions climatiques et du sol. Cette diversité reflète la reconnaissance des différentes approches de l'agriculture et de l'utilisation des plantes adaptées aux ressources  et  aux besoins locaux.

En adaptant l’approche de Bruno Munari dans Orange et rose et pois (Extrait de Bruno Munari, L'art du design, Pyramyd, 2012, p. 132-137) et son approche de la description des objets, j’ajoute des descriptions dans les paragraphes suivants :

La pomme de terre est constituée d'un réseau complexe de tiges, de feuilles et de racines entrelacées. Les tiges émergent du sol et se développent en hauteur, formant une structure ramifiée. Les feuilles, de forme ovale ou palmée, sont disposées le long des tiges et capturent la lumière du soleil pour la photosynthèse. Les racines, quant à elles, s'étendent dans le sol, permettant l'absorption de l'eau et des nutriments nécessaires à la poussée de la plante.

La pomme de terre  présente une grande capacité de multiplication végétative. Les tubercules, situés sous la surface du sol, sont des organes de stockage riches en fécule. Les fleurs de pommes de terre  peuvent varier en couleur, allant du blanc au pourpre, et sont regroupées en grappes.




Dans la photo se trouvent mon grand-père, ma grand-mère, 
le cheval et le champ de pommes de terre en 1970 (?).


Les pommes de terre peuvent être placées dans un ordre ou une structure spécifique, comme une pile ou une rangée. Cela peut indiquer une organisation ou un système de gestion. Les pommes de terre peuvent avoir différentes formes : ovale, ronde ou longue. Leur texture peut être lisse, rugueuse ou bosselée. Ces aspects de l'apparence peuvent transmettre certains signaux ou impressions.

« En 2003, à la biennale d’art contemporain de Venise, Agnès Varda exposera Patatutopia, un triptyque photographique installé devant un parterre de 600 kilos de patates, tandis qu’en fond sonore sont égrenés les noms des multiples variétés du modeste tubercule. ‘ Je célèbre ainsi la résistance de ce légume. J’ai l’utopie de penser que l’on peut voir la beauté du monde dans une patate qui a germé ’, explique-t-elle. Et si, en ce printemps, nous renouvelions nous aussi cette utopie et laissions germer quelques pommes de terre ? » (La citations tirées du site : https://www.plantes-et-sante.fr/articles/billets-dhumeur/2942-patate-utopie)

Mon grand-père, en revanche, utilise toutes les pommes de terre qu'il cultive, et ne les jette pas comme le font les producteurs industriels. Il construit une relation avec la plante très délicate. François Couplan dans son livre Retrouver sa place dans la biodiversité, critique même l'agriculture  de nos jours en général, car il pense que cela fait partie de l'esprit conquérant et dominateur. Mais si nous changeons notre nature intérieure et redéfinissons nos vrais besoins (François Couplan, Retrouver sa place dans la biodiversité, Sang de la terre-médial, p. 49) , nous pouvons construire une relation harmonieuse entre nous-mêmes et la nature. 


Le mémoire des racines

Au cœur de ce projet se trouve un village autrefois florissant, mais maintenant en déclin, où seules deux personnes, dont mon grand-père, résident encore. La maison de mon grand-père, qui a 110 ans, témoigne de l'évolution de la situation économique et politique, ayant entraîné des changements profonds entre la société et l'individualité. Quand je me souviens de mon enfance et de mes vacances à la campagne, je pense aux pommes de terre. Parce que la pomme de terre est le personnage le plus important de notre famille, son cycle de vie est de trois mois, tout comme mes vacances, même si elle pourrait survivre tout l'hiver et reprendre racine, ce qui ferait un nouveau cycle. Mon grand-père m'a appris à observer la nature : la position du soleil, la direction du vent et comment les plantes réagissent à ceux-là. Les plantes gardent mes émotions d'enfance. 

« La structure de l’univers, qui est naturellement l’objet de notre admiration, a toujours fait aussi l’objet de ma curiosité. Dès l’enfance, je faisais mon plus grand plaisir de tout ce qui pouvait m’en donner la connaissance, les globes, les cartes, les relations des voyageurs avaient pour moi des attraits singuliers. » (Katia Astafieff, L'Aventure extraordinaire des plantes voyageuses, Dunod, 2023)

J'ai fait des empreintes de pommes de terre coupées en deux autant de fois que mes ancêtres l'ont plantée au même endroit, créant ainsi un flux de temps méditatif. 





La relations avec la plante

Dans le cadre du concept pluriverse, la pomme de terre peut être décrite comme une plante unique et diversifiée, reflétant des différentes perspectives et pratiques liées au développement durable et équitable. La pomme de terre est une culture alimentaire. En plus de sa fonction alimentaire, elle peut également jouer un rôle dans la préservation de l'environnement. Ses racines, profondément ancrées dans le sol, contribuent à prévenir l'érosion et à améliorer la structure du sol. Par ailleurs, la plante a la capacité d'absorber certains polluants du sol, contribuant ainsi à la décontamination des terres.
J'ai essayé de dormir avec des pommes de terre, mais cet exercice me semblait un peu artificiel, puis je me suis souvenue que dans mon enfance, mes parents m'ont fait des inhalations de pommes de terre fraîchement cuites pour le traitement de la bronchite. J'ai donc décidé de recréer cette expérience pour construire ma relation avec la plante. « Il ne faut pas grand-chose pour retrouver ce contact qui concerne tout notre être et commence par les sens dont la nature nous a dotés : vue, toucher, ouïe, odorat et goût  sont des façons essentielles de nous relier au monde et nous les sous-utilisons. »

En outre, les fleurs de pommes de terre qui sont séchées, puis préparées à partir d'infusions d'eau et d'alcool aident à soigner les maladies fongiques de la peau. Mais, une substance de la fleur étant toxique, le traitement doit être très prudent.

En ce qui concerne mon grand-père, il regarde méditativement les pommes de terre tous les jours pendant trois mois d'été, chaque jour en passant autour du champ, il semble que cela puisse être une sorte de langue commune. Dans ce processus de répétition, le langage poétique émerge.